EDITO RABBIN NEZRI

« Eternel, Notre Seigneur ! Ton nom est bien trop glorieux pour la terre ! Répands donc Ta majesté sur les cieux » (Psaume 8, 2)

 

Lorsque Moise monte au Sinaï afin de recevoir la Thora, c’est une véritable lutte qui s’engage entre lui et les anges. Les midrachim nombreux rapportent combien les anges se sont interposés entre Moise et l’Eternel afin que D. renonce à donner la Thora à l’homme qui n’en est pas digne ; afin qu’il offre cette Thora aux créatures célestes pleinement acquises à la cause spirituelle. C’est dans ce contexte que le Psalmiste rapporte les paroles des anges : « Ton nom est bien trop glorieux pour la terre, répands donc ta splendeur dans les cieux…, qu’est donc l’homme que tu penses à lui ? Le fils d’Adam que tu le protèges ? » (psaume 8, 2-5)

 

Dans un beau midrach, il est rapporté en détail le débat qui s’installe entre l’Eternel et les anges :

« Les anges s’exprimèrent devant D. : Maître du monde, il est préférable pour Toi de donner la thora aux créatures célestes. En effet, nous les anges, ne sommes-nous pas de saintes et pures créatures à l’image de Ta Thora qui est pure et sacrée. Ne sommes-nous pas éternels à l’image de Ta Thora, arbre de vie éternelle. Accorde donc cette thora au monde céleste et non à ce bas monde ni à ces basses créatures.

L’Eternel répondit alors : La Thora ne peut être mise en application dans votre monde. En effet, chez les anges, point d’impureté, point de mort. Comment pourriez-vous donc mettre en application toutes les lois liées à l’impureté et notamment à celle du mort. 

Toutefois, lorsque les enfants d’Israël trébuchèrent au moment de la faute du veau d’or et que les tables de la loi furent brisées, les anges se réjouirent et proclamèrent : cette fois-ci la thora nous reviendra.

Néanmoins, lorsque les anges aperçurent à nouveau Moise sur le point de recevoir les secondes tables de la loi, ils s’interposèrent une fois de plus dans une totale incompréhension : Maître du monde, n’ont-ils pas transgressé la Thora où il est affirmé clairement : Vous n’aurez pas d’autre D. que moi !  L’Eternel répondit de façon claire et définitive : Vous passez votre temps à les accuser de différentes infractions, mais vous semblez oublier que votre comportement peut s’avérer être bien moins valeureux que le leur. En effet, lors de votre visite au premier des patriarches Abraham, n’avez-vous donc pas commis l’infraction de mélanger le lait et la viande ? Ainsi qu’il est dit : « Abraham prit le beurre, le lait et la viande qu’il avait préparés, présenta ces mets aux anges qui les consommèrent » (Genèse 18 – 8). Vous n’avez même pas su observer cette loi célèbre interdisant le mélange du lait et de la viande alors qu’un petit enfant tout juste rentré du Talmud Thora et à qui l’on présente ces deux aliments proclamera avec force : La Thora nous interdit de mélanger ces deux aliments. »

 

Ce midrach met clairement en évidence notre supériorité par rapport aux anges certes êtres sacrés, mais qui ne peuvent mettre en pratique matériellement la Thora et les mitsvoth. Le midrach use d’une image qui nous interpelle où même un petit enfant est capable de déjouer les projets des anges par un argument de poids, afin que nous saisissions très clairement combien nous avons la chance inestimable de pouvoir mettre en application la thora et les mitsvoth.

 

En effet, si les anges revendiquaient clairement la partie théorique et ésotérique de la thora, ils savaient pertinemment qu’ils ne pourraient en aucune manière égaler l’homme quant à la mise en application de la thora et des mitsvoth. Ce privilège a été accordé exclusivement à l’homme. Aucune autre créature aussi spirituelle soit-elle ne peut pratiquer un judaïsme de l’action. Seul l’homme se voit confier cette double mission exaltante : étudier en profondeur les textes sacrés, puis mettre en application physiquement nos devoirs. Cette double dimension, nous l’évoquons très clairement dans les bénédictions du Chéma « Donne-nous l’intelligence pour comprendre, observer et mettre en application toutes les paroles de Ta Thora ».

Pourquoi donc un tel privilège ? Somme toute l’argument des anges n’est-il pas implacable ? Comment donc un texte aussi sacré peut-il trouver sa place dans ce bas monde ?

En fait, la Thora nous permet de nous construire jour après jour. Elle permet à un être de chair et de sang de se sublimer et de se rapprocher toujours et un peu plus du Créateur. Or, il n’est d’autres moyens de progresser et de se réaliser qu’à travers les actions que nous accomplissons.

Les pieux sentiments, les plus belles réflexions philosophiques, n’ont jamais bâti un homme. Seul l’action physique dans toute sa force est en mesure de susciter en nous un élan spirituel qui se doit à son tour d’être exploité à travers notre étude. C’est cette alchimie entre l’action et l’étude qui fait du peuple juif une nation exceptionnelle qui mérite pleinement de recevoir la sainte thora.

 

C’est la raison pour laquelle, lorsqu’arrive la fête de Chavouoth où nous célébrons le don de la Thora, nous insistons curieusement sur l’importance de la consommation des plats lactés. En effet, nous pourrions nous étonner de l’attention que l’on porte à cet aspect purement culinaire de la fête au moment même où nous fêtons notre ascension spirituelle à travers la sainte thora. En fait, cet usage ne fait que rappeler le principal argument dont nous avons usé dans le cadre de notre débat avec les anges. C’est précisément parce que nous avons des lois qui régissent de quelle manière nous consommons le lait et la viande que la thora ne peut concerner les anges. La loi juive nous interdit de consommer des plats lactés après avoir mangé de la viande. Il faudra attendre au moins six heures pour pouvoir consommer à nouveau du lait. Par contre, après avoir consommé du lait, il sera permis de manger de la viande après un rinçage méthodique de la bouche. C’est pourquoi à Chavouoth nous débutons précisément le repas par des plats lactés, en veillant ainsi à respecter l’ordre de consommation prévu par la loi juive (lait, puis viande et non le contraire). Cette mise en application de la loi culinaire met clairement en évidence le privilège exceptionnel qu’est le nôtre : impacter tous les aspects de notre vie quotidienne par la pratique de la Thora et des mitsvoth ; sublimer par nos saintes actions tous les pans de notre existence.

 

Permettez-moi donc en cette veille de Chavouoth de vous souhaiter de très belles fêtes empreintes de sainteté mais également agrémentées de spécialités culinaires. Je vous invite à cultiver les deux aspects de notre tradition (étude et pratique) en vous joignant à l’étude talmudique exceptionnelle que nous partagerons ensemble le samedi 4 juin veille de Chavouoth entre 19 h 30 et 21 h 45. Impatient de vivre avec vous le don de notre sainte thora, je vous souhaite tous mes vœux de Hag Saméah à vous et tous vos proches.

 

Rabbin Yaacov NEZRI