ANIVERSAIRE DE LA RAFLE
IZIEU , le 6 Avril 2025
Pr Thierry PHILIP Président du Directoire de l’Institut Curie
Chers amis,
Que pouvons-nous dire aujourd’hui, après la grande commémoration l’an dernier des 80 ans de cette horrible rafle, où la mémoire des enfants était si présente et si vivante ?
Vivants, oui !
Parce que nous avons mis en lumière les 60 enfants sauvés à Izieu. Parce que nous avons parlé du livre de Samuel PINTEL, qui en est la plus belle illustration.
Vivants, oui !
Parce que les 44 enfants assassinés vivent ici, dans ce mémorial de la République française. Grâce à Serge Klarsfeld, nous connaissons une grande partie de leur vie, de leur famille, de leur parcours. Grâce à Sabine ZLATIN, nous savons également beaucoup sur la vie quotidienne dans la colonie, jusqu’à ce matin tragique où les sbires de Klaus BARBIE sont arrivés.
Alors, que dire pour cette 81ᵉ commémoration ?
Il y a tant à dire, surtout en ce moment.
Alors que les actes antisémites explosent en France, amplifiés par le pogrom du 7 octobre perpétré par les terroristes du Hamas en Israël, ces actes se mêlent à l’antisionisme et à une critique systématique de la politique d’Israël, le seul pays réellement démocratique de cette région du monde.
Comment ne pas faire le lien entre les 44 enfants d’Izieu assassinés parce que Juifs et les petits Kfir et Ariel Bibas ?
Comment ne pas comparer les mises en scène des nazis avant la mise à mort des juifs avec les mises en scène du Hamas ..
Enfants assassinés, enfants martyrisés, parce que juifs..
En 2020, on recensait 339 actes antisémites en France. En 2021, 589. En 2022, 486.
En 2023, ce chiffre est monté à 1676, et les chiffres pour 2024 sont tout aussi inquiétants avec 1570 actes antisémites. L’augmentation est de 192 % en 2 ans. Ces actes, souvent peu médiatisés, incluent des agressions physiques bien réelles (plus de 100 par an). La communauté juive qui représente moins de 1 % de la population française, est pourtant la cible de 67 % des faits antireligieux enregistrés par le ministère de l’Intérieur en 2024.
Parfois ces actes sont perpétrés par des individus insoupçonnables : une aide-ménagère empoisonnant l’eau d’une famille ou un ami d’enfance poignardant l’un de ses amis.
192 % d’augmentation ! Cela nous interroge profondément, d’autant que le phénomène explose aussi à l’école de la République avec 477 signalements d’actes antisémites depuis 6 mois et des enfants juifs qui doivent quitter l’école publique.
Dans un lieu de mémoire comme celui-ci, destiné à rappeler qu’aucun citoyen ne doit être discriminé pour sa religion, comment ignorer cette réalité ? Comment ne pas parler aussi de nos deux compatriotes retenus en otage par le Hamas, qui ont souffert dans l’indifférence générale ? Où étaient leurs portraits, ceux de Ofer KALDERON et de Ohad YAHALOMI, absents des grilles des mairies ?
Ofer est heureusement rentré chez lui et Olad ne reviendra jamais.
Cette indifférence pour les juifs persécutés s’étend aussi aux femmes afghanes, à la situation en Iran, aux crimes commis contre les Ouïgours en Chine, et n’oublions ni l’Afrique, ni l’Inde… Aujourd’hui encore, on tue, on déporte, on discrimine selon les religions et les origines.
Et nous sommes dans un pays où l’indignation est uniquement centrée sur Israël. Quand il n’y a pas de juifs dans un conflit contre des musulmans, curieusement, ça n’intéresse personne.
Le leitmotiv, c’est : « Stop aux atrocités à Gaza ! ».
Comment ne pas souscrire à cette injonction ? Dans toute guerre, il y a des innocents qui meurent et des atrocités dont certaines sont définies par le droit international, cela s’appelle des crimes de guerre. Parler de génocide par contre n’a pas de sens. Selon le droit international ce mot désigne la destruction méthodique, délibérée, planifiée
2d’un groupe humain. Comment parler de génocide du peuple palestinien alors que la population de la Palestine est
passée de 1,3 millions en 1947 à 6 millions en 2024 ? Imagine-t ’on les nazis, prévenant les juifs des attaques devant survenir des lieux de ces attaques et que ces derniers soient invités à s’enfuir ?
C’est ce que fait aujourd’hui l’armée israélienne.
Ce sont les terroristes du Hamas… (On va finir par croire que ça n’a pas existé) qui le 7 octobre ont assassiné de manière atroce femmes, enfants et vieillards. Ce sont les terroristes du Hamas qui utilisent les otages mais aussi la population civile palestinienne comme boucliers humains. Ce sont les terroristes du Hamas qui se cachent sous les hôpitaux et les écoles. C’est eux qui ont la volonté affirmée de commettre un génocide et d’éliminer la présence juive en Palestine.
Dans cette situation internationale, si complexe, doit-on ici à Izieu, baisser les bras et renoncer à notre mission première ? celle qui est l’enseignement des jeunes générations.
Doit-on baisser les bras ?
Non.
Ici, au Mémorial d’Izieu, nous recevons en effet près de 43 000 visiteurs par an, dont 17 000 scolaires. Nous accueillons aussi bien des lycées musulmans que des écoles juives. Nous sommes des hussards de la République, témoins de l’histoire et transmetteurs de la mémoire.
Nous leur expliquons que c’est en France que le plus grand nombre de Juifs a été sauvé durant la Shoah. Nous leur faisons comprendre que là où il y a des bourreaux, il y a aussi des Justes. Nous leur parlons de justice, de preuves, comme le télégramme brandi à Nuremberg par Edgar FAURE, retrouvé ensuite par Serge KLARSFELD, et qui permit de condamner Klaus BARBIE.
Nous leur parlons de réconciliation, à l’exemple de Madame Claudia ROTH, venue ici comme ministre de la République fédérale allemande. Nous leur expliquons qu’on fait la paix avec ses ennemis et qu’on peut dépasser la haine.
Nous leur montrons aussi les mécanismes de discrimination et les dangers des préjugés et discours haineux, souvent propagés par les réseaux sociaux. Nous les aidons à réfléchir par eux-mêmes.
Enfin, nous leur rappelons que la Shoah n’est pas seulement une tragédie collective, mais une somme d’histoires individuelles et familiales. Chaque enfant d’Izieu a un nom, une famille, une vie.
Chers amis, avec le temps, le nombre de survivants diminue inexorablement et cette année, Bernard et Adolphe WAYENSON nous ont quittés.
Cela confère à notre génération et surtout à celle de nos enfants, la responsabilité de porter la mémoire. Chaque acte d’enseignement sur la Shoah est un acte d’espoir, car nous croyons qu’un individu éduqué et sensibilisé peut construire un avenir meilleur.
Oui, il y a une augmentation de 192 % des actes antisémites, mais ici, chaque enfant d’Izieu tisse avec d’autres enfants une relation personnelle qui, j’en suis convaincu, peut conduire à un monde meilleur.
Alors, que dire pour ce 81ᵉ anniversaire ?
Il faut dire : fraternité, car nous sommes un Mémorial de la République, Liberté, Egalité Fraternité.
Il faut dire : pas de découragement, car notre conseil d’administration a créé plusieurs groupes de travail pour réfléchir à la pédagogie d’aujourd’hui avec les conflits au Moyen-Orient et la pédagogie de demain quand il n’y aura plus de survivant de la Shoah.
Il faut dire : on continue et nos mots-clés restent : TRANSMISSION, ENSEIGNEMENT.
Il faut dire : NOUS Y CROYONS.
Il faut dire : nous devons transmettre cette mémoire, au nom des 44 enfants et de leurs éducateurs. Cette transmission peut aider la jeune génération et l’ensemble des visiteurs à réfléchir et surtout à agir.
Oui, nous y croyons.
Je vous remercie.